La médecine esthétique légitimée

Publié le par Dr Paul Barbe

La médecine esthétique légitimée
LE MONDE | 08.05.07 | 15h47  •  Mis à jour le 08.05.07 | 15h47








Ne dites plus "médecine esthétique" mais "médecine morphologique et anti-âge". Dans quelques semaines, environ 80 médecins pourront se prévaloir de ce titre et l'inscrire sur leur plaque et leurs ordonnances grâce à un nouveau diplôme interuniversitaire (DIU) reconnu par le conseil national de l'ordre des médecins (CNOM).

 

 

Les actes qu'ils peuvent pratiquer

Les médecins titulaires du diplôme interuniversitaire "médecine morphologique et anti-âge" ne peuvent intervenir que dans les tissus superficiels "sans dépasser les aponévroses musculaires" et sont autorisés à pratiquer des actes sous anesthésie locale.

Ils peuvent effectuer des actes de mésothérapie à visée amaigrissante (micro-injections sous-cutanées de petites quantités de médicament à l'aide d'un pistolet muni d'aiguilles), des implants cutanés, des injections de comblement des rides, des peelings chimiques ou autres microdermabrasions pour "rajeunir la peau", des poses de fils tenseurs, des microgreffes de cheveux, des scléroses de varices, et utiliser des lasers médicaux et des lampes flash pour la couperose ou encore l'épilation définitive.

 


A l'heure où la course à l'éternelle jeunesse et à la silhouette parfaite envahit magazines féminins, vitrines de pharmacie et publicités, ce nouveau diplôme n'a eu aucune peine à trouver candidats. "Nous avons 300 médecins en liste d'attente", constate le professeur Philippe Caix, coresponsable de cette nouvelle formation dispensée dans trois universités (Paris-XIII, Montpellier-I, Bordeaux-II).

Pour l'heure, les postulants sont essentiellement des généralistes exerçant déjà la médecine esthétique mais sans reconnaissance officielle. "En validant cet enseignement, nous avons voulu mettre de l'ordre face à de multiples déviances et moraliser la profession", explique le docteur Xavier Deau, président de la section formation et compétences professionnelles au CNOM. Défaut d'hygiène et de sécurité, mauvaise information des patients, dérives commerciales et tarifs exorbitants, manque de fiabilité des méthodes et des produits utilisés, "il n'est plus possible que certains médecins fassent n'importe quoi", résume le docteur Deau.

Mi-avril à Paris, quinze femmes qui voulaient affiner leur silhouette avant l'été ont eu la peau infectée par des mycobactéries atypiques à la suite d'un traitement par mésothérapie pratiqué chez un médecin généraliste. Hospitalisées puis opérées, certaines patientes ont "des marques à vie sur les jambes ou le ventre", témoigne le professeur Laurent Lantiéri, chef du service de chirurgie plastique et reconstructrice de l'hôpital Henri-Mondor à Créteil (Val-de-Marne). "Pour l'une de ces femmes, nous avons dû intervenir sur une centaine de lésions", affirme-t-il.

Ce chirurgien ne décolère pas devant les conséquences de cette quête de l'éternelle beauté et dénonce le "charlatanisme" de certains médecins. "Je suis confronté régulièrement à des complications de médecine esthétique, qu'il s'agisse d'amaigrissement ou de comblement de rides, avec des problèmes d'abcès ou de nécrose des tissus, insiste-t-il. C'est mon rôle d'universitaire de tirer la sonnette d'alarme et de dire aux femmes d'être prudentes."

Quant au nouveau DIU de médecin esthétique, le professeur Lantiéri regrette que "la faculté donne un blanc-seing à une médecine non validée dont les complications sont payées par la collectivité".

Le professeur Yves Cohen, coresponsable du nouveau diplôme, reconnaît que les techniques utilisées en médecine esthétique "n'ont pas toutes démontré leur efficacité". Mais, ajoute-t-il, "face à la forte demande de la population, un cadrage était nécessaire pour assurer une meilleure qualité de prise en charge et davantage de sécurité pour les patientes".

Ces dernières années, la lucrative médecine esthétique s'est développée dans l'opacité en surfant sur le thème "belle sans bistouri". "Des formations très onéreuses sont proposées aux médecins par des officines privées pour apprendre des recettes en un week-end, et certains praticiens utilisent sur leurs patientes des produits ni reconnus ni fiables. Tout cela est très grave", explique le professeur Caix.

Le 19 avril, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a pris une décision de "police sanitaire" à l'encontre de produits de comblement des rides et de solutions de mésothérapie à visée esthétique commercialisés par la société Procytech. Tous ces produits, vendus par milliers d'unités en France depuis 2005 et utilisés par quelque 200 médecins, ont été retirés du marché à cause des "risques éventuels d'infection et d'effets indésirables allant de réactions inflammatoires à des granulomes". Les inspections menées par l'Afssaps au sein de l'entreprise ont mis en évidence des conditions de fabrication défaillantes. En outre, les produits de mésothérapie étaient commercialisés sans autorisation de mise sur le marché (AMM) "alors que, de par leur composition, ils relèvent de la réglementation du médicament", souligne Jean-Claude Ghislain, directeur de l'évaluation des dispositifs médicaux à l'Afssaps.

Absence d'AMM pour les solutions injectables ou de marquage "CE" pour le matériel utilisé, ce n'est pas la première fois que l'Agence met au jour des dérives. Déjà, en 2006, la société Mésalyse avait dû suspendre la commercialisation d'aiguilles, de seringues et de multi-injecteurs non conformes. "Cela fait des années que nous dénonçons les produits sans AMM vendus par des laboratoires puissants auprès de médecins non formés qui gobent tout", assure le docteur Christian Bonnet, président de l'Association Médecine et Mésothérapie esthétique.

Les futurs médecins "morphologues et anti-âge" devront signer une charte dans laquelle ils s'engagent à respecter des "normes de qualité et de sécurité", à "développer une éthique du comportement", à ne pas pratiquer de "gestes chirurgicaux" et à ne pas prescrire de dispositifs ou de produits médicaux "non prouvés". Le professeur Caix se réjouit de voir de jeunes généralistes "attirés" par cette nouvelle médecine à exercice particulier qui, dit-il "ouvre, pour les patients, le droit au bien-vieillir".

Le docteur Deau, lui, reconnaît que le CNOM n'est pas très à l'aise face à "tous ces praticiens qui ne feront plus de la médecine générale leur coeur de métier" et préféreront "embellir" les femmes des beaux quartiers plutôt que de s'installer dans les zones rurales où la démographie médicale est en berne.

"En dehors du Botox et de quelques produits injectables résorbables, tout le reste, c'est du flan, la médecine esthétique n'est pas une réalité médicale", martèle le professeur Lantiéri. Dans le bras de fer qui a opposé médecins et chirurgiens esthétiques quant au partage du juteux marché de la beauté, les chirurgiens ont obtenu une victoire : conserver le copyright du mot "esthétique".

Sandrine Blanchard

 

Article tiré du monde : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-907296,0.html

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